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Rafik Halliche blessé avant le match Egypte-Algérie |
J'ai les doigts qui puent la sardine. Ca, ça peut s'arranger.
Pour l'haleine au relent de bière, un petit café et ça ira.
…
Je m'emmerde.
Personne pour parler avec moi. Younes et Bachir n'ont pas voulu m'accompagner. Même Amar, le tenant de « La Sirène », d'habitude aussi volubile qu'une commère, reste calfeutré dans sa cuisine, devant sa petite télé. Je le sais, j'entends les commentaires du match.
Les rues d'Oran sont désertes. Pour ce premier match de Coupe du monde 2010, pas âme qui vive. J'ai jamais vu ça. En plein après-midi, Wahran El Bahia, la ville la plus exubérante d'Algérie, aussi paisible qu'un village en pleine campagne. Impossible à croire. Et pourtant.
Sincèrement, je m'ennuie à mourir. Je suis seul, dans la mythique « pêcherie » du port. Qu'est-ce-que je m'en moque de cette Coupe du monde. Pire, elle me dégoûte.
Je ne comprends pas. L'équipe nationale de football est le seul motif de fierté de mon pays aujourd'hui. Quand je dis mon pays, je parle du peuple. Nous sommes descendus bien bas.
J'appelle Amar une première fois.
Rien.
Je crie cette fois-ci : « Amaaar ».
Une réponse enfin. Un « Ouaaaye » qui vient de loin, comme si j'avais tiré le restaurateur de la sieste. Le voilà qui quitte sa cuisine, traînant d'un pas nonchalant jusqu'à ma table. Je l'observe. Un bonnet bleu en laine en plein été, comme tout le reste de l'année. Des yeux noirs cernés jusqu'au menton. Un moustache à la Hitler, mais bien plus épaisse. Un visage buriné, une peau tannée par des heures de pêche au grand large. Non, il ne pêche plus. Alors disons que sa peau est brune d'origine. Sa tête posée sur un corps malingre habillé d'un pull marin dépassant d'une blouse blanche tachée d'huile dodeline lascivement au rythme de ses pas chaloupés. Il s'arrête devant moi sans rien dire et me lance un regard interrogateur.
- Amar, t'as pas chaud comme ça ?
- C'est pour ça que tu m'appelles ?
- Djibni kahwa ou ça y est.
- Un café ? D'accord. Après je ferme.
Il ferme ? Mais il ne ferme jamais la journée !
Je prends mon café dehors, sur la terrasse. Je ne veux plus entendre le son de la télé. Il fait si beau. Un grand soleil, un ciel bleu, un petit air marin agréable, la mer devant moi, et Oran pour moi tout seul pendant au moins une heure encore. Je me retourne, contemple la corniche, à l'Est. Là-haut, perché sur le Murdjado, au-dessus d'un écrin de verdure de la forêt des Planteurs, comme un rapace surveillant la plaine, s'élève le Fort Santa Cruz. Juste en dessous, une statue de la Vierge Marie, ouvrant largement les bras vers les cieux. Lella Meryem, protégez-moi.
Ne prenez pas garde au vocabulaire que j'utilise.
« Un écrin de verdure ». Zeema !
Oran est une grande ville portuaire du Maghreb, sale et poisseuse. Une ville qui ressemble à Marseille, mais en plus délabrée. On y trouve rien de précieux, du subtil. Oran, ça foisonne, ça grouille... Habituellement.
Marre. Je pose le café, laisse quelques dinars sur la table et me dirige vers la place des taxis.
Pas de taxi.
Si, un, caché dans un coin.
- Emmenez-moi au Front de mer.
- Mmmh.
Mmmh ? Pas de mots pour parler ? Lui aussi est absorbé par son match. Je suis bien obligé de subir.
Bon sang, il monte le son de la radio.
« Bougherra défend bien sur le porteur du ballon, et... Ahhhh, oui ! Il réussit à lui chiper la balle. Quelle solidité. Eeeet... bonne relance vers Yebda qui s'est teint les cheveux en blond pour l'occasion. Yebda, face à la pression de l'attaquant slovène remise sur Yahia qui tente de lancer Ziani dans la profondeur... Ouii, ça passe. Et ça combine bien. Une deux avec Belhadj qui repique vers le centre et qui la redonne à Ziani. Les Fennecs sont prêts des buts adverses et Ziani déclenche un tir... trop lointain pour inquiéter Handanovic. »
J'arrive pas à le croire. Putain de Coupe du monde. Mêmes les filles sont folles des joueurs.
Je sors du taxi et profite d'un conducteur bien trop concentré sur le match pour lui payer seulement la moitié de la course. Il ne s'en rend même pas compte.
13 juin 2010. Une date a marqué d'un makroud bien mielleux. Je suis seul sur le Front de mer. Wellah je suis seul. D'ici, j'entends même le bruit des vagues. Impensable.
Merde j'ai juré. Je suis pas seul en fait. Sur un banc, quatre homos profitent du calme pour squatter tranquillement alors qu'ils se tiennent habituellement à l'écart.
Je me ballade, soucieux. Oui soucieux. Oran inanimé, ça me rend malade. Ca sent la fin des temps. Qu'est ce que je vais bien faire. Je prends une rue perpendiculaire qui me fait remonter vers le centre et j'atterris à Bastille. Je prends à droite et passe sous les arcades. Pas un chat à Bastille. Dingue.
De l'autre côté de la route se succèdent les pizzerias, vides. Je traverse la voie les yeux fermés sans même avoir peur de me faire écraser. Je prends à gauche pour arriver au quartier le plus pouilleux, Saint Pierre. Toujours personne. Pas même un petit merdeux la morve au nez. J'ai le sentiment que je pourrais aller jusqu'à Sidi El Houari que je ne rencontrerai personne.
Je me sens mal.
Vous imaginez qu'il y a au moins une dizaine de chanson en l'honneur des Fennecs ? Des tubes que même l'imam de mon quartier doit connaître par coeur. Celle qui me fait le plus rire : « Jaw el Haramia ».
« Voici, voici, voici venu les enfants de voleur. Voici, voici, voici venu les enfants d'Egypte. »
Une ode à la victoire de l'équipe algérienne sur l' Egypte. Lors du deuxième match de qualification, les joueurs Algériens se sont fait caillasser par des supporters Egyptiens. Y a même eu des blessés. Dès lors, les relations politiques entre l'Algérie et l'Egypte se sont bien rafraîchies. Et au match de barrage joué au Soudan, Boutef a affrété trois avions pour les supporters aux frais de la sultane. Avec ça, prizidane pourra se représenter aux prochaines élections. Il gagnera haut la main.
J'arrive pas à le croire. Le gouvernement ne redistribue presque rien de nos richesses. Le taux de chômage est toujours aussi élevé. Et les Algériens sont heureux des actions de Bouteflika envers l'équipe d'Algérie. Ca me débecte et ça me laisse peu d'espoir.
Alors maintenant j'ai deux solutions. Ou je traîne encore dans les rues vides, ou je rentre chez moi rejoindre la famille qui regarde le match avec passion.
Aïn